Silence, on contemple.
Dans notre formation à l’enseignement du Yoga, que j’ai la joie de guider avec Layla, nous proposons une semaine de silence. Là, vous vous demandez quel est le délire ? Je comprends. Alors voici un article où je pose mes mots sur cette exploration et pour lequel j’ai recueillis les témoignages de nos exploratrices et le journal de ma complice. Parce que rien me se raconte mieux que l’expérience.
La vallée du Bonheur
Là, dans ce village berbère au creux de la vallée du bonheur, comme ils l’appellent. Là, sans voiture, des ânes pour seul moyen de transport, des cultures qui nourrissent, des gestes qui chérissent. Dans le silence profond des montagnes pourtant rempli des bruit de la vie, des vibrations de l’univers.
Sans parole, seulement le regard pour se dire “tout va bien”. Des regard parfois perdus, perplexes dans cette expérience du silence. Pour elles, c’est tout nouveau. Pour nous, c’est une profonde respiration. Un espace dépouillé de toute inutilité où la profondeur des sujets que l’on aborde à la lecture des Yoga Sutras devient une évidence. Et la magie opère, doucement les liens entre la pratique et la philosophie se font, les couches superficielles tombent et on découvre le coeur, le centre. On aime ou pas, mais on y est”
Marion
Journal du silence, jour 1
“Nous sommes arrivées hier, il faisait beau dans la Vallée des gens heureux, c’est son nom. Les sommets sont enneigés et les arbres sont en fleur, le printemps est là, un peu timide. Les filles pouvaient encore parler, jusqu’à la fin du dîner, on s’est occupé de gérer les questions techniques, les emplois du temps, oui, comment on va occuper tout ce temps, je crois que c’est la question qui les préoccupe le plus.
Depuis hier soir donc, elles sont en silence, nous on est pas vraiment là pour les fliquer, c’est leur expérience, mais la maison est silencieuse, elles jouent le jeu. Marion et moi devons gérer les aléas climatiques, dehors il fait très froid et pour les deux jours à venir il y a des alertes pluie et neige. Il fait d’ailleurs un temps bizarre ce matin, dans d’autres occasions j’aurais dit pourri, mais ici cela révèle le côté mystique de la vallée. Nous trouvons 3 lieux couverts et fermés pour nos pratiques du midi et du soir.
Un rayon de soleil à l’heure du déjeuner, il libère un peu l’atmosphère, c’est assez particulier 15 personnes qui mangent en silence dans une pièce, je crois que c’est ce qui les frustre le plus. J’espère qu’elles saisiront qu’on peut être liés sans se parler, juste se sentir et nourrir nos manques ainsi. À la fin de la journée on descend dans le village, un monsieur nous a prêté son salon dans sa maison en terre, le cours de Naïs sur le thème “ton cœur qui sait” finit de rendre l’expérience complètement folle, l’énergie dans la pièce nous porte. Nous finissons quelques minutes avant que le Muezzin retentisse dans la vallée, c’est l’heure de la rupture du jeûne en ce mois de Ramadan. Pendant et après le dîner je repère quelques visages marqués, c’est le moment où elles se demandent ce qu’elles font là. De grosses larmes coulent quand je viens réconforter et câliner. Va dormir, rattrape tes heures de jeune maman, débarrasse toi du manque et de la frustration, sinon cela va devenir une obsession, tente l’instant présent. Je sais que c’est facile à dire, mais nous laissons toutes des choses derrière nous, et pour vivre cette expérience au mieux et dans son sens, il n’y a que l’instant”
Layla
“le silence pèse
c’est difficile
on est face à soi
mais le ciel s’est dégagé depuis hier
le soleil tape sur la vallée du matin au soir
il a neigé sur les sommets des montagnes alentours
l’air est frais
l’énergie du groupe apaise notre mental
la pratique du Yoga et la lecture des Yoga Sutras nous permet de comprendre le chemin que l’on décide d’emprunter
le chemin de la connaissance du Soi
le réel
se détacher du monde manifesté
s’attacher à la puissance du Tout
et vibrer
au delà des mots”
Naïs
Journal du silence, jour 2
“L’énergie est différente ce matin. Elles sont plus nombreuses qu’hier à être sorties de leurs chambres pour la méditation au lever du soleil, il est 6h du matin, il a neigé cette nuit, il fait un froid polaire. Marion va assister au spectacle du jour nouveau, je reste au lit. J’ai besoin de me reposer, et ici je peux le faire sans culpabilité, je n’ai pas besoin d’être productive ou aimable ou serviable. Ici j’ai la liberté du vide et moi il m’attire. Je suis persuadée que le vide c’est le Tout et qu’on nous a interdit de nous en approcher pour mieux nous asservir. Et c’est un peu ça qu’on vient toucher du doigt dans notre silence. C’est tous ces trucs qu’on nous a appris et qui nous encombrent. Qui sommes nous quand personne ne nous regarde ?
Maëlle à dansé face aux montagnes plus d’une heure, seule avec sa petite force devant le très grand, c’était beau. Ce midi Alice a lu ceci à la fin de son cours : “J’adore me réveiller quand il a neigé toute la nuit. J’aime sentir qu’il y a quelque chose de différent sans savoir quoi, jusqu’au moment où je me rends compte du silence.” Jaramillo Palacio. J‘ai trouvé ça à propos.
Tous les après midi on s’installe dans le petit salon, je leur lis les Yoga Sutra de Patanjali, j’aimerais qu’elles saisissent la puissance de la pratique millénaire du Yoga, leur éviter l’écueil de la simplification et surtout de faire des choses sans en comprendre le sens. Certaines capterons immédiatement, d’autres à retardement et d’autres peut être jamais parce que ça demanderait de remettre trop de choses en question . C’est ainsi. Au dîner je sens une tension, positive, à n’importe quel moment ça explose, j’utilise une situation pour faire une petite blague, et les rires étouffés se transforment en pleurs, de rire. C’est agréable, parce que ça libère, de la meilleure des manières. C’est encore dur pour certaines, j’espère que les jours à venir seront constructifs pour elles”.
Layla
“A peine le premier mot choisi, le voilà qui m’a déjà échappé. Comme s’il glissait par manque d’accroche. Comme s’il ne pouvait qu’effleurer ce qui s’est passé cette semaine. Et pourtant, il me tient à cœur d’y déposer quelques mots. Depuis notre naissance, nous vivons dans la communication et l’action permanentes.
Mais que se passe-t-il si on arrête ? Que se passe-t-il si on se dépouille, un instant, de ce qui embrume le paysage pour voir ce qui réside au fond. A commencer par la parole. Car là où la langue nous permet d’entrer en contact avec la matière, le palpable, le tangible, le silence nous permet de faire l’expérience du subtil et de l’immuable. S’engager dans la voie du silence, c’est se mettre en retrait volontaire. C’est adopter une posture d’accueil et de réceptivité totale à l’égard de ce qui se présente à nous.. en nous.
C’est la possibilité de plonger et naviguer dans nos profondeurs tout en contemplant les hauteurs. Ces hauteurs qui nous entouraient de toute part durant cette semaine. Car nous avions le privilège de séjourner dans un écolodge niché dans le Haut Atlas, au Maroc, avec une vue à 360° sur les montagnes. Leurs sommets enneigés, au contact du soleil, irriguaient les champs en contrebas. Les terrasses suspendues sur la vallée offraient au passager de jour une vue unique sur cette nature somptueuse ; au passager d’une nuit étoilée une immersion complète dans l’immensité de l’univers. Abondant dans sa simplicité, cet environnement permet à l’observateur silencieux de se rapprocher un peu plus de l’Essence des choses.
C’est l’opportunité d’une connection intense avec la Vie. Cette Vie qui nous traverse et nous anime. Cette Vie qui nous transcende et nous relie.
Soudain, un fou rire brise le silence comme une feuille blanche qu’on déchire. Il se répand. Incontrôlable. Inarrêtable. Les têtes se renversent, les gorges se déploient, les larmes perlent au coin des yeux et coulent le long des joues. Joyeuse manifestation de la Vie qui rompt la digue et inonde la pièce de sa lumière éclatante.
Aussi tentant que cela puisse être de le partager avec d’autres, mettre des mots sur ce voyage intérieur, c’est le passer par un filtre, dont le résultat est aussi réducteur qu’insatisfaisant. Jamais le verbe ne rendra palpable l’impalpable.
Certaines expériences doivent simplement être vécues pour en saisir l’étendue et la profondeur. Et c’est justement ce qui en fait toute la beauté.
Merci Layla et Marion d’avoir ouvert cet espace”
Fabienne
Journal du silence, jour 3
“Ce matin après le petit déjeuner, nous trainons toutes au soleil, les champs en contrebas ont des teintes de vert différents, ça me rappelle des coins d’Asie. Les agriculteurs sont au travail dans leurs champs, le silence est tellement fort qu’il leur permet de se parler de parcelle en parcelle, ils hèlent leurs voisins à 100 mètres, qui crient pour répondre à leur tour, c’est un spectacle qui nous ravit, nous les contraintes.
On a enfin pu pratiquer au grand air, il fait chaud et sec, avec un petit air frais gorgé de neige, juste ce qu’il faut.
Le truc c’est que notre rôle à nous, c’est de donner notre avis sur les cours qu’enseignent les filles deux fois par jour, il y a des choses bien, et d’autres à améliorer, et c’est difficile pour elles d’entendre des critiques et de retourner ensuite au silence. Il faut vite débloquer la situation quand on sent que ça coince, sous peine d’un plombage d’atmosphère générale. Alors on a demandé à chacune de nous écrire un mot, nous dire comment elles vont. C’est assez génial à lire, les meufs assurent, elles ne lâchent rien, elles sont vraiment capables de recul, ok elles nous décrivent les moments de doute, les manques mais ce qui ressort c’est qu’elles sont balaises et qu’elles y tiennent à leur aventure. Et moi ça me fait fondre, parce que même si je suis un peu dure parfois, j’ai peur pour elles tout le temps, c’est ma place à moi dans cette histoire, Tenir l’espace, comme me l’écrit Cécile ce soir, les tenir en sécurité pour que leur expérience soit complète.
Elles me rendent fière, de quoi, je ne sais pas vraiment, peut-être d’être l’une d’entre Elles. De celles qui font leur valise pour aller se rencontrer, qui ont peur, mais qui y vont quand même.Les cœurs sont plus légers ce soir, demain on a prévu quelques trucs qui leur feront plaisir, et en fin de journée, elles reprendront la parole.”
Layla
“Je me lève à 6h00, je me presse de me laver pour profiter ensuite du levé du soleil sur le haut atlas marocain. Il fait frais ce matin, je sors bien couverte et je me pose face au montagne, plusieurs filles sont là dispatchées sur les différentes terrasses de l’éco lodge. C’est étrange de se rencontrer sans se parler, j’échange un sourire pour communiquer d’une autre manière. Cette vue si grandiose et silencieuse, mes yeux fixent les cimes enneigées de l’atlas, je suis juste en bas à ses pieds comme si cette montagne était une déesse à vénérer, mère nature. (…) Je retravaille mon cours de yoga tout me parait plus simple et plus facile… plus MOI en fin de compte : de l’énergie, du sourire et de la lumière.
Comme si mon enfant intérieur se mettait à vibrer en moi.
Une confiance s’installe j’espère qu’elle durera mais j’évite d’anticiper et je la savoure à l’instant T.”
Lisa
“Une expérience hors du temps, tellement puissante, du haut de mes 21ans, le silence alors que c’est un âge où on cherche plus la frénésie de la vie que le calme. « Je crois que je comprends un truc. Le premier jour, ça a été super étrange. Et ce matin, j’ai eu l’impression de comprendre l’essence de ce qui m’arrive. De ce qui nous arrive là. Je regardais Naïs pratiquer, libre, sur la terrasse devant le salon. Puis prendre des photos, et me sourire enfin. Un sourire radieux d’Anaïs, qui invite à un câlin furtif. Et j’ai compris. J’ai compris qu’on avait pas toujours besoin des mots pour se parler. Comme si, dans ces montagnes, on nous avait offertes la capacité de saisir le caractère si précieux, unique des gens qui nous entourent, là et maintenant. De savoir s’en délecter, de les deviner. Dans le silence des mots, certes, mais ça parlait tellement, finalement. Je les ai entendues, sans leurs voix. Et c’était fort putain.”
Margaux
Journal du silence, jour 4 et fin
“Je n’ai qu’une visée : être libre. J’y sacrifie tout. Mais souvent, souvent, je pense à ce m’apportera la liberté… Que ferai-je seul au milieu de cette foule inconnue ?” Dostoievski
Une fête, ce matin on a célébré l’instant, nous, la vie, ensemble et seules. Suspendues silencieuses au dessus du vide, minuscules parmi les sommets, des fourmis qui gigotent. On a dansé, dansé, dansé. Elles ont compris, je crois, le lien invisible. La musique n’était pas la même pour toutes, et pourtant on dansait bien ensemble.
C’est notre dernier jour ici, pour toutes il s’est passé des choses très fortes et vient la question : comment c’est après ?
Par expérience, je sais qu’il ne faut que quelques jours pour replonger dans le quotidien. Mais j’ai plaisir à penser, que ce ne sera plus tout à fait pareil, et que certains matins, un rayon de soleil viendra les transpercer et trouvera la route jusqu’aux espaces qu’on a créés ici. Elles reconnaîtrons le chemin, et durant quelques instants, elles seront à nouveau celles qu’elles sont quand personne ne les regarde.
Merci d’avoir été un auditoire enthousiaste et fidèle, merci aussi d’avoir fait parler vos cœurs en commentaire, c’est sympa de ne pas bavasser toute seule.Et puis je fais un spécial big up, à celles qui n’étaient pas sensées utiliser le WiFi et qui ont regardé toutes mes stories, je vous ai grillées. Et bien sur merci à Marion ma partner in crime et à toutes ces femmes qui nous ont fait confiance encore une fois.”
“Partir loin, afin de se retrouver. Cette phrase est tellement aberrante mais essentielle. Ça a été le challenge que je me suis lancée. Poser mon mental. Être à l’écoute de mon coeur. Être attentif à mon corps ainsi qu’à mes ressentis.Respirer à pleins poumons. Apprécier la vie dans sa simplicité.
Ces montagnes m’ont fait renaître une nouvelle fois.Tout cela m’a été permis grâce à un groupe de femmes extraordinaires. Perdue dans mon quotidien , je reviens le coeur apaisé et décidé.”
Mélanie
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1 réflexion sur « Silence et Yoga dans le Haut Atlas »